mardi 16 janvier 2007

J'aurais jamais dû vendre mon Solex

Clic sur les images du billet pour les agrandir
 - Click all pictures to enlarge -
Highslide JS
Le temps est venu de regarder la vérité en face. Paf, toc... droit dans les yeux. Le premier de nous deux qui rira aura une tapette. L’acte manqué fondateur de la névrose instituée de l'adulte toujours en devenir que je suis, c'est la vente irréfléchie de l'obscur objet de mon désir : le fier destrier de mon adolescence, mon Solex S 3800. Je précise pour les non initiés, qu’il ne s’agit nullement d’une arme de guerre du IIIe Reich, mais du motocycle visible sur la pléthore d'images illustrant ce billet. J’aurais pas dû, j’aurais jamais dû ... Mieux vaut avoir des remords que des regrets, dit-on. Malheureusement, sur ce coup misérable, j’ai récolté les deux.




Il faut remonter le fil de cette pénible histoire pour dégager à mains nues la racine du traumatisme. Janique Aimée, l'héroïne du feuilleton de l'unique chaîne en noir et blanc de l’O.R.T.F de l’époque, je dois le confesser (l'emploi de ce verbe vaut déjà pénitence), fut responsable d’émois coupables titillant ma sexualité adolescente. Par ricochet, l’obscur objet de mon désir était aussi à mon insu - retour du refoulé - la jeune infirmière de cette série bon enfant qui recherchait, tout au long des épisodes, son amoureux mystérieusement disparu le soir de ses fiançailles. Elle chevauchait, faute de mieux en attendant de le retrouver, un Solex S2200. De là a y voir en plus des indices concernant mon futur choix de profession, faut pas pousser le bouchon trop loin! Laissons les "pichiatres" à leurs travers. Pour ceux qui n’étaient pas nés à l’époque, n’avaient pas la télé (on ne peut pas s’acheter des casiers de gros rouge et en plus la télé), ou font partie des malentendants, le générique du feuilleton faisait : ta titi tititi tata, (un ton en-dessous) ta titi tititi tata etc
Suivez ce lien qui n’aura un intérêt réel que pour les deux premières catégories citées : coucoucircus


Cinq ans après ce feuilleton télévisé, mes parents fortunés, en plus d’avoir la télé, purent m'acheter, même si ce fut en se saignant aux quatre veines (ça en fait huit en tout, ce qui est amplement suffisant), un Solex d’occasion alors que j’étais en classe de seconde (on devrait dire deuxième, mais moi j’ai toujours dit seconde). Pile poil pour le Printemps 68, j’avais entre les jambes, vrombissant et pétaradant, le monstrueux mono-cylindre de 47 cm3 et 0,7 cheval fiscal qui allait combler le conquérant assoiffé de liberté que j'étais. Les plus folles escapades m’étaient désormais permises. Je sillonnais enfin la planète et ses environs à 30 km/h maxi, sauf dans les descentes, où là, en relevant le moteur, en fermant les yeux et en récitant son «Pater Noster», le franchissement du mur du son devenait une hypothèse envisageable pour un délirant de haut-vol.



Pour les fondus d’historiques rigoureux, caractéristiques techniques pointilleuses, iconographies robustes ou autres plaisirs infinitésimaux accompagnant la première gorgée de bière, http://solexin.free.fr/

http://solexmillenium.fr/



Mes premières conquêtes amoureuses, je les dus sans hésitation aucune à ma fière allure de «Rider On the Storm» avec son noir phallus. L’image de Marlon Brando dans «L’équipée sauvage» pouvait passer définitivement à la trappe dans l’inconscient collectif : obsolète, voire précambrienne. J’avais fort astucieusement muni mon bolide d’un rétroviseur propice à l’observation furtive après mes dépassements fulgurants des gastéropodes encombrant l’asphalte . Je les voyais se recroqueviller promptement dans leur coquille sous l’effet de tornade qui les assaillait, selon mon humeur mutine, de dextre ou de sinistre. L’animal "solexin" avait bien quelques foucades, bronchait à l'occasion sur l'obstacle, ou pouvait s’avérer retors aux franchissements de nids de poules sournois du parcours. Je maîtrisais à grands renforts de pics d’adrénaline, aidé en cela par deux surrénales de mammouths. C’est sans doute au décours de figures de rétablissements tout aussi spectaculaires que professionnelles (ceux-ci auraient pu alimenter la dithyrambe légendaire de Nelson Montfort s’il avait été commentateur à l’époque), que j’ai semé à vaux classeurs et accessoires scolaires en vogue, échappés des deux sacoches, utiles sinon gracieuses, accrochées à la poupe du vélomoteur. Ces options de luxe se révélaient particulièrement propices au conditionnement rigoureux d’objets variés. Au premier chef, les vinyles 33 et 45 "tures", sésames quasi obligatoires pour entrer dans les boums. Celles-ci étaient organisées dans les garages ou appentis au gré des configurations architecturales des lieux d’habitations parentaux de la dernière ère glacière (Würm pour les initiés).

Pour le transport des boissons gazeuses, tout aussi utiles comme laissez-passer à ces festivités pré et post pubertaires (bigrement acnéiques, il faut en convenir), cela s’avérait plutôt catastrophique si l’on omettait de laisser reposer le fret quelques heures. Le porte-bagage robuste et ergonomique de l’engin permettait en sus, détail non négligeable, de faire monter en croupe l’élue de la soirée pour la raccompagner à son domicile (parental dans 100% des cas), animé par un élan purement chevaleresque, cela va sans dire. Les performances de la machine chutaient alors bigrement quel que soit le gabarit de l’amazone. Avantage de la chose: la durée du trajet prenait des proportions de croisières par vent plat, et aux passages des trous et bosses de la chaussée le buste de la nymphette se plaquait dans votre dos ainsi que ses avant-bras graciles sur vos abdominaux tablettes de chocolat. Que dire du souffle haletant ou du petit cri qui accompagnait immanquablement l’embardée! Rien ne vous empêchait d’ailleurs, si les circonstances de la soirée vous avaient fourvoyé dans un plan calamiteux, d’activer fébrilement le pédalier pour accroître la vélocité du Solex et vous décharger (pas de dérapages métaphoriques douteux S.V.P) promptement d'une utopie romantique à la "bravitude" insensée.




Bon! là, on avait plutôt tendance à se mettre à l'arrière (BB et Honor Blackman - Chapeau melon et bottes de cuir - 1964)...
Série de compositions personnelles à partir de pin-up's de Gil Elvgren









L’homme à Solex - on s'en doute - véhiculait une image particulièrement virile. Les grands sexe-symboles français de l’époque utilisaient ce moyen de locomotion avantageux : Jacques Tati, Louis de Funès, Jean Lefebvre pour citer les principaux. Même "le beau Robert" s’aligna sur ces parangons de "mâlitude" en s’affichant dans les rues de New-York sur un Solar made in France dans « Les trois jours du Condor ».



Ah! le plaisir maniaque de démonter et remonter sans cesse, les mains moites et graisseuses, les pièces du pur-sang pour tenter une illusoire amélioration de ses performances! Oui, c’est vrai, il existait des kits. Un décalaminage régulier du cylindre, ou la dépose du pot d’échappement, pouvaient vous faire gagner un demi km/h et surtout un paquet de décibels en ce qui concerne la dernière amélioration. Les seules personnes que je vis réellement, au péril de leur vie ou pour l’amour de la Science, réussir l’exploit, le firent dans un acte désespéré consistant à remplacer le carburant officiel par un produit assez proche des comburants utilisés pour les V2. L’acte, par ailleurs tout bonnement suicidaire, se voyait la plupart du temps sanctionné par la mort tragique de l'animal. J’en vis quelques-uns l'abattre d’une balle dans la tête pour abréger ses derniers soubresauts. Je pense que Spielberg s’est inspiré de ces hauts-faits dans la scène où l’on voit E.T. passer devant le globe lunaire sur un VTT.

Catherine Deneuve en tenue réglementaire pour piloter son Solex amphibie

Parcourir la lande, cheveux au vent, fouetté par les embruns, le cœur battant la chamade, la fièvre au corps, le cul plaqué sur une selle monumentale à ressorts, autant de sensations picaresques incomparables! L’exploration de contrées aux climats extrêmes - où la main de l’homme n’a jamais mis le pied, et qui plus est, encore aucune de ses créations mécaniques de haute précision - comment en oublier les fragrances lourdes et suaves? Je tiens cependant à signaler, quittant momentanément ma dithyrambe, que quelques bactéries extrêmophiles ont peut-être tenté la colonisation, mais selon moi, avec un vague succès d’estime.

Je propose aux internautes un document classé top-secret. Il provient de fichiers de l'ex URSS répertoriant les grandes étapes de l’aventure humaine. Ce cliché met en avant la ténacité, l’abnégation, le dépassement de soi qui ont permis de jucher votre humble serviteur au pinacle, en compagnie des grands pionniers du millénaire. J’intitulerai le daguerréotype: "Conquête de la chaîne alpestre par un pilote d’élite au péril de sa vie et celle de son engin, en juillet 1971 de notre ère ".


Photo sans trucage. Aucun hélitreuillage condamnable n’est à la base d'un subterfuge. La validation de la performance ne figure malheureusement pas au livre des records ("Guiness is not good for me")
1971, M. Brant me salue au passage
Alors, me direz-vous, quel fut le motif de la vente ignominieuse de ce compagnon héroïque, fidèle et discret, bien que nullement inodore? Une réglementation routière abusive obligeant le port du casque pour les conducteurs et passagers de vélomoteurs en agglomération en l’an de Grâce 1975. J’aurais dû braver l’interdit, passer à la désobéissance civique, n'est-ce pas? A l'époque, bêtement, quand j’ai imaginé ma tronche ornée d'un heaume intégral, un amour propre mal placé (sur mon secteur crânien pour être précis), me fit commettre l’irrémédiable. Je suis passé à la conduite d'un quatre roues, me jetant ainsi dans cheptel dodu et vilipendé des grands profanateurs des ressources fossiles de la planète et des contributeurs honteux à l’effet de serre. J’avais troqué un véhicule hybride (essence, huile et énergie musculaire) à la consommation risible (1,4 litre de Solexine aux 100 kilomètres) contre un prédateur redoutable des temps modernes, pendant du Tyrannosaure Rex du Jurassique. Punition des dieux: à moi désormais les bouchons urbains et autoroutiers, les giboulées "verbalisantes" traîtresses, le gavage des parcmètres gloutons et les redoutables séances chez les parasites de l’automobile que sont les garagistes comme les coiffeurs sont ceux des cheveux, bien plus que le pou.


Finie l’époque bénie des écharpes et des tenders pris gaiement dans les rayons de la machine, les gerbes folles de vapeur émises par le galet presseur sur le pneu avant les jours de neige quand il s’emballe, les slaloms sur les trottoirs au milieu des encombrants, les séances récréatives proposées par les distributeurs de mélange, bandits manchots des années soixante vous délestant d’à peine plus d’un nouveau franc en échange d'un plein gagnant d’un litre quatre (1 litre cinq vous faisait courir le risque de baptiser vos Kickers avec le dit-mélange).


Il m’arrive parfois, lors des nuits d’orage zébrées d'éclairs, de me réveiller blême, le visage couvert de sueur, hurlant sur ma couche, les yeux remplis de larmes. Je revois un peu floue (conséquence des sécrétions lacrymales) l’image chérie de mon Solex, spectre phosphorescent se découpant sur les murs sombres de ma chambre. Il est là, campé fièrement sur sa béquille, crinière au vent et naseaux frémissants. Hagard sur ma paillasse, je sens bien que je ne vaux guère mieux que ces monstres qui abandonnent ignominieusement en douce leur canidé sur une aire d’autoroute.


Shame on me !

Steve McQueen a choisi le Solex pour concourir aux 24 H du Mans
























Lire aussi sur ce blog http://blogmansarde.blogspot.fr/2013/11/pictogramme-vectoriel-de-solex.html








Toutes les bonnes choses vont par trois : Solex 3800 en noir, blanc et rouge

13 commentaires:

  1. hahaha, on achève bien les chevaux... Billet à lire en écoutant "o solex mio" assurément !

    RépondreSupprimer
  2. Je dirais même plus: "on achève bien les 2CV"...

    RépondreSupprimer
  3. Moi aussi j'avais un solex pour aller au lycée ! Souvenir souvenir ...

    ps : ton lien ne marche pas, tu as oublié la fin (.free.fr)

    RépondreSupprimer
  4. Fx> Exact ou love me tendeur d'ailleurs...

    Dupondt> d et t donc un message collectif. Mille sabords encore des économies de bouts de chandelle

    m2k> je l'ai fait texto pour faire cool. L'imparfait m'indique que vous ne l'avez plus aussi. Je suis avec vous dans la peine.
    Merci pour le lien bancal. Un ingénieur est sur l'affaire.

    RépondreSupprimer
  5. J'ai fait connaissance avec une jeune demoiselle qui est fan de Solex comme toi (sauf que elle elle en a un en vrai, nananèèèreeeuuh). Je me permets de jouer les entremetteuses et j'échange vos adresses de blogs.
    Elle c'est ckck : http://lapagedeckck.blog.lemonde.fr/la_page_de_ckck/

    RépondreSupprimer
  6. madamedekeravel> sympa le lien.

    Ouah ! Le solex de prestige avec un porte-bidon pour la Solexine ! Un beau parti cette gente Damoiselle. Vous ne ménagez pas mes nerfs ainsi que mes glandes lacrymales... J'aurais vraiment pas du !

    RépondreSupprimer
  7. « Le luxe est une affaire d'argent. L'élégance est une question d'éducation. »

    RépondreSupprimer
  8. Réponses
    1. Tout une époque en effet où le ciel était plus bleu et le soleil plus chaud, Othmane! Belle citation sur le luxe et l'éducation qui aurait pu me servir à mon bac de Français passé dans ces années glorieuses qui faisaient parties des trente. J'avais pris le sujet: "Qu'est-ce que le luxe?".

      Supprimer
  9. Non, vous n'auriez pas du, vendre votre Solex, camarade !
    Personnellement, je n'en ai jamais eu, se Solex, ni même une mobylette (on "châaableuse", on disait à l'époque où j'étais encore jeunet et Nancéenne ;-), mais je compati à votre malheur, et je me régale à lire votre votre prose Lorraine ;-)
    Dédéement vôtre,
    Anne , la blonde du blog , les Dédées ; vintage récup' créations,
    et Toc, je mets La mansarde ( bavarde ) dédédicaces

    RépondreSupprimer
  10. Non, vous n'auriez pas du, vendre votre Solex, camarade !
    Personnellement, je n'en ai jamais eu, se Solex, ni même une mobylette (on "châaableuse", on disait à l'époque où j'étais encore jeunet et Nancéenne ;-), mais je compati à votre malheur, et je me régale à lire votre votre prose Lorraine ;-)
    Dédéement vôtre,
    Anne , la blonde du blog , les Dédées ; vintage récup' créations,
    et Toc, je mets La mansarde ( bavarde ) dédédicaces

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bravo les Dédées de retourner le couteau dans la plaie ! Grand sensible devant l’Éternel, vous venez de me faire péter à nouveau une larme au coin de l’œil. C’est pas beau du tout…

      Merci de votre visite et de votre commentaire au pied de ce billet rétro, ou millésimé comme disent les englishs avec leur « vintage » qu’on leur a piqué sans vergogne. Je suis passé à Maisons-Alfort consulter votre blog dédédié au dédéveloppement durable très dédémerde.

      Effectivement, pourquoi vouloir faire mieux que ce qui était bien avant. On connaît l’adage entre ces deux ennemis.
      Merci de votre dédédicace à la Mansarde, un vieux truc qui remonte à Louis XIV et son copain Mansard.
      Au moins une ancienne nancéienne dans le trio, alors ?
      Je n'ai répondu qu'au com doublon. Héhé!
      La Mansarde n'étant plus très clarteuse, je deviens beulou car je n'ai pas mangé de brimbelles. A la revoyure, les trois bassoteuses...

      Supprimer
  11. Brigitte Bardot, Steve Mac Queen, Mike Brant, Catherine Deneuve,Jacques Tati , Louis De Funès : le vélo solex était très tendance chez nos amis les stars !

    RépondreSupprimer

Commentaire de :